vie chrétienne
les chrétiens sont-ils des gêneurs ?
Lors de l’audience générale du 29 avril 2020, le pape François est arrivé au bout de son cycle de réflexion sur les Béatitudes . Il médite sur la dernière d’entre elles : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 10). En ces jours où certains sont tentés par la victimisation (« on ouvre les supermarchés mais pas les églises ») sa réflexion très équilibrée m’a semblé tomber à pic.
Si le monde vit en fonction de l’argent, quiconque montre que la vie peut s’accomplir dans le don et dans le renoncement devient une gêne pour un système régi par l’avidité. Ce mot de « gêne » est central car à lui seul, le témoignage chrétien qui fait tant de bien à un si grand nombre de personnes qui le suivent, est une gêne pour ceux qui ont une mentalité mondaine. Ces derniers le vivent comme un reproche. Quand apparaît la sainteté de la vie des enfants de Dieu, il y a dans cette beauté quelque chose de gênant qui appelle à une prise de position : soit accepter de se remettre en cause et s’ouvrir au bien, soit refuser cette lumière et endurcir son cœur, en allant jusqu’à l’opposition et à l’acharnement (…)
Mais nous devons également être attentifs à ne pas lire cette Béatitude dans la posture d’une victime qui s’apitoie sur son sort. En effet, le mépris des hommes n’est pas toujours synonyme de persécution ; un peu plus loin Jésus dit justement que les chrétiens sont le « sel de la terre », et il met en garde contre le danger de « devenir fade », sinon « il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens » (Mt 5, 13). Il existe donc aussi un mépris dont nous sommes responsables, quand nous perdons la saveur du Christ et de l’Évangile.
Nous devons être fidèles à l’humble chemin des Béatitudes, car il est celui qui nous permet d’appartenir au Christ et non au monde. Il est utile de se souvenir du parcours de saint Paul : quand il pensait être un juste, il était de fait un persécuteur, mais quand il a découvert qu’il était un persécuteur, il est devenu un homme d’amour, qui a affronté joyeusement les souffrances des persécutions qu’il subissait (…)
Nous serons jugés sur nos relations avec les pauvres
Ce Matin, lors de la messe à la chapelle Ste Marthe, le pape François a commenté l’Évangile de ce jour (Jn 12, 1-11), dans lequel Marie, sœur de Lazare, répand un parfum précieux sur les pieds de Jésus, s’attirant les critiques de Judas : ce parfum, déclare celui qui s’apprête à le trahir, pouvait être vendu pour 300 pièces d’argent que l’on aurait ensuite données aux pauvres. En ce début de semaine sainte, j’entendais surtout ce texte comme une annonce de la passion à venir, et le pape oriente sa méditation vers le début de la phrase du Seigneur : « les pauvres ».
Ou même, si nous n'entrons pas dans cette culture de l'indifférence, il y a une habitude de voir les pauvres comme les ornements d'une ville : oui, il y en a, comme des statues ; oui, il y en a, on les voit ; oui, cette vieille femme qui fait l'aumône, cette autre... comme si c'était une chose normale. Cela fait partie de la décoration d’une ville d'avoir des gens pauvres.
Mais la grande majorité sont les pauvres victimes des politiques économiques, des politiques financières. Certaines statistiques récentes le résument ainsi : il y a tant d'argent dans les mains de quelques-uns et tant de pauvreté dans celles de beaucoup, de beaucoup de gens. Et c'est la pauvreté de ces nombreuses personnes qui sont victimes de l'injustice structurelle de l'économie mondiale. Et [il y a] tant de pauvres qui ont honte de montrer qu'ils n'arrivent pas à la fin du mois ; tant de pauvres de la classe moyenne, qui vont secrètement à Caritas et qui demandent secrètement à manger et qui ont honte.
Les pauvres sont beaucoup nombreux plus que les riches ; beaucoup, beaucoup... Et ce que Jésus dit est vrai : "les pauvres seront toujours avec vous". Mais est-ce que je les vois ? Suis-je conscient de cette réalité ? Surtout de la réalité cachée, de ceux qui ont honte de dire qu'ils n'arrivent pas à la fin du mois.
(…)
Et ils sont si nombreux, si nombreux, que nous les rencontrerons dans le jugement. La première question que Jésus nous posera est : "Comment as-tu traité le pauvre ? L’as-tu nourri ? Quand il était en prison, lui as-tu rendu visite ? L’as-tu visité à l'hôpital ? As-tu aidé la veuve, l'orphelin ? Parce que j'étais là". Et c'est sur cela que nous serons jugés. Nous ne serons pas jugés pour le luxe ou les voyages que nous faisons, ni pour l'importance sociale que nous aurons. Nous serons jugés sur nos relations avec les pauvres.
Mais si, aujourd'hui, j'ignore les pauvres, si je les laisse de côté, si je pense qu'ils ne sont pas là, le Seigneur m'ignorera au jour du Jugement dernier. Quand Jésus dit : "les pauvres seront toujours avec vous", il veut dire : "je serai toujours avec vous, à travers les pauvres. Je serai présent en eux". Ce n'est pas être communiste, c'est le centre de l'Evangile: nous serons jugés sur cela».
" Il nous faut plus que jamais continuer à inventer le christianisme." (Jean Delumeau )
Jean delumeau, historien, professeur au collège de France, nous a quittés cette semaine.
En plus d'être un grand scientifique, c'était aussi un homme de foi. J'ai lu il y a quelques années, Guetter l'aurore. Un christianisme pour demain, (Paris, Grasset, 2003). Je vous en propose ce petit extrait que je trouve aujourd'hui quasi-prophétique !
l’Eglise catholique est capable de retournements surprenants
Il est en tout cas évident pour l’observateur impartial que l’Eglise catholique est capable - heureusement ! - de retournements surprenants, retournements qui ne sont pas aisés à mettre en oeuvre mais qui constituent une preuve supplémentaire de ses capacités d’adaptation aux conditions changeantes du monde.
L’exemple le plus probant en est son attitude sur la question des « droits de l’homme ». Pie VI les avait condamnés au début de la Révolution française. Les voici maintenant au centre des revendications de Jean-Paul II.
Raison pour laquelle un prochain pape devra choisir nettement entre Pie IX (le repli sur le passé) et Jean XXIII (l’ouverture au monde contemporain). Si Jean-Paul II a donné des gages des deux côtés, l’indétermination ne sera bientôt plus tenable. L’avenir des chrétiens dépend « de la capacité qu’ils auront à faire preuve de créativité » : je partage entièrement cette conviction de Jean Joncheray, vice-recteur de l’Institut catholique de Paris. Il nous faut plus que jamais continuer à inventer le christianisme.
Dieu n'a pas fait sa part du contrat ?
En ce début 2020, je souhaite à tous les lecteurs réguliers ou occasionnels de ce blog une très bonne année. Puissent ces quelques textes, glanés au hasard de ma fantaisie, les aider parfois à cheminer dans ce monde brutal et inquiétant sans perdre l’Espérance.
Je vous propose encore de lire « A Philémon » du frère dominicain Adrien Candiard.
Tout le chapitre 4 est une réflexion sur la rencontre de Jésus avec Marthe et Marie. Ce texte, ainsi que quelques autres, produit « des sorties de messe difficiles pour un prédicateur ». Il suscite en effet chez beaucoup de chrétiens incompréhension et révolte. Adrien Candiard produit une réflexion que j’ai trouvée très riche, je vous en livre quelques extraits. (en 2 fois)
Ce doute et cette inquiétude n’ont sans doute rien d’illégitime : dans l’Évangile, ils ne sont pas exprimés seulement par quelques pharisiens frustrés et irrités d'apprendre que les publicains et les prostituées les précèdent dans le Royaume de Dieu. Ils sont encore présentés à Jésus, avec beaucoup d’humanité et de franchise, par une de ses amies les plus proches, Marthe, déroutée par cette manière de faire du Seigneur !
Elle n’a bien sûr pas entendu parler de Paul et de Philémon, qui sont encore très loin de tout cela, mais déjà elle trouve que c’est peut-être un peu facile, cette histoire d’amitié avec Dieu qui ne passe pas par l’accomplissement de tel ou tel commandement. Parce que très concrètement, cette histoire de liberté, cela veut dire que sa sœur Marie reste tranquillement assise dans le salon avec Jésus, sans lever le petit doigt pour l’aider en cuisine. Il faut bien le reconnaître, cela n’est pas très juste. Voilà donc qu’elle se plaint à Jésus, avec un peu d’humeur : «Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de m’aider !»
Pourtant Jésus n’a pas l’air particulièrement compréhensif à l’égard de cette demande si légitime, et lui répond tout à côté: « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie à choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » Devant cette page d’Évangile bien connue, mais difficile, tous ou presque s’identifient à Marthe, bien plus qu’à sa sœur dont on ne sait finalement pas grand-chose, sinon qu’elle ne veut pas se fatiguer…
(…)
C’est qu’il y a en notre cœur un petit païen qui veut entretenir avec Dieu des relations claires, c’est-à-dire commerciales. « Les bons comptes font les bons amis », dit-on avec ceux qui justement ne sont pas nos amis. Le païen de l’Antiquité faisait les choses clairement : un sacrifice à Neptune, et en échange le dieu de la mer veille sur mon voyage. Donnant-donnant, dans la plus parfaite justice comptable. L'amour gratuit de Dieu nous déstabilise, et nous préférerions avoir avec lui quelque chose de plus sûr : je paie, il livre. On essaie de l’acheter par des efforts (qu’on appelle bien souvent des « sacrifices », comme par hasard) : je vais à la messe plutôt que de rester dormir, et en échange, tu protèges ma famille. On nous a appris à ne pas le formuler comme cela, bien sûr, mais c’est profond en nous. Et cela ne se révèle, bien souvent, que lorsque Dieu n’a pas fait sa part du contrat, et qu’on le lui reproche alors : pourquoi ma femme me quitte- t-elle, alors que j'ai fait tout ce que tu m'as demandé ? Je n’avais pas pris la formule « tous risques » ?
Et notre païen intérieur nous convainc qu’on agit forcément bien, puisque ces sacrifices nous contrarient. Ces efforts vont contre nous-mêmes, donc il faut bien que Dieu compense. On fait tout ça pour lui faire plaisir, on se complique la vie pour lui, donc il nous doit bien quelque chose en retour. Le bien pour Dieu, c’est forcément un mal pour nous - en tout cas une privation, une difficulté, une concession qu’on lui fait. Marthe, Marthe, tu perds ton temps quand tu crois rendre service au Christ parce que tu te compliques la vie, quand tu opposes le bien et ce qui te fait du bien ! Marthe, Marthe, tu fais fausse route quand tu penses que la volonté de Dieu, c’est le contraire de ta volonté : vous faites alliance, Dieu et toi, et cette alliance vous fait marcher dans la même direction ! Ce que tu fais, et tes efforts, et ton dévouement, ne t’enlèvent rien : au contraire, c’est toi qu’ils enrichissent, parce qu’ils t’apprennent à aimer davantage. Le Royaume de Dieu, que tu recherches, ne te sera pas donné en récompense de tes efforts : il t’est déjà donné en partage. C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre cette histoire de meilleure part, qui semble tout de même un peu étrange, parce qu’elle paraît indiquer qu’il y a des activités meilleures que d’autres, qu’il y a des vies qui valent mieux que d’autres. Dans l’histoire de l’Église, ces modes de vie ont peu à peu pris un nom : et l’on a opposé la contemplation à l’action, la vie contemplative à la vie active - la première étant naturellement considérée comme bien supérieure à la seconde...
Que l’Emmanuel soit lumière pour toute l’humanité blessée
Dans son message Urbi et Orbi pour Noël, François reprend l'esprit du Chapitre 25 de l'évangile de Mathieu
«Que l’Emmanuel soit lumière pour toute l’humanité blessée. Qu’il assouplisse notre cœur souvent endurci et égoïste et qu’Il fasse de nous des instruments de son amour. Qu’à travers nos pauvres visages, Il donne son sourire aux enfants du monde entier : à ceux qui sont abandonnés et à ceux qui ont subi des violences. A travers nos pauvres faibles bras, qu’Il revête les pauvres qui n’ont rien pour se couvrir, qu’Il donne le pain aux affamés, qu’Il soigne les malades. Par notre fragile compagnie, qu’Il soit proche des personnes âgées et de celles qui sont seules, des migrants et des marginalisés. En ce jour de fête, qu’Il donne à tous sa tendresse et illumine les ténèbres de ce monde»
Yael GOOSZ
éditorial- France Inter - 24-12-2019
François a fait accrocher un gilet de sauvetage, sur un crucifix, au cœur du Vatican. Un gilet porté par un migrant disparu en Méditerranée l’été dernier… L’image est saisissante, Jésus rattrapé par l’urgence humanitaire, la croix du migrant inconnu. Impossible d’esquiver ou de fermer les yeux, ce gilet de sauvetage, toutes celles et tous ceux qui demandent audience au Pape sont obligés de passer devant