Bartimée

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Dieu n'a pas fait sa part du contrat ?

En ce début 2020, je souhaite à tous les lecteurs réguliers ou occasionnels de ce blog une très bonne année. Puissent ces quelques textes, glanés au hasard de ma fantaisie, les aider parfois à cheminer dans ce monde brutal et inquiétant sans perdre l’Espérance.

 

Je vous propose encore de lire « A Philémon » du frère dominicain Adrien Candiard.

 

Tout le chapitre 4 est une réflexion sur la rencontre de Jésus avec Marthe et Marie. Ce texte, ainsi que quelques autres, produit « des sorties de messe difficiles pour un prédicateur ». Il suscite en effet chez beaucoup de chrétiens incompréhension et révolte. Adrien Candiard produit une réflexion que j’ai trouvée très riche, je vous en livre quelques extraits. (en 2 fois)

 

Ce doute et cette inquiétude n’ont sans doute rien d’illégitime : dans l’Évangile, ils ne sont pas exprimés seulement par quelques pharisiens frustrés et irrités d'apprendre que les publicains et les prostituées les précèdent dans le Royaume de Dieu. Ils sont encore présentés à Jésus, avec beaucoup d’humanité et de franchise, par une de ses amies les plus proches, Marthe, déroutée par cette manière de faire du Seigneur !

 

Elle n’a bien sûr pas entendu parler de Paul et de Philémon, qui sont encore très loin de tout cela, mais déjà elle trouve que c’est peut-être un peu facile, cette histoire d’amitié avec Dieu qui ne passe pas par l’accomplissement de tel ou tel commandement. Parce que très concrètement, cette histoire de liberté, cela veut dire que sa sœur Marie reste tranquillement assise dans le salon avec Jésus, sans lever le petit doigt pour l’aider en cuisine. Il faut bien le reconnaître, cela n’est pas très juste. Voilà donc qu’elle se plaint à Jésus, avec un peu d’humeur : «Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de m’aider !»

Pourtant Jésus n’a pas l’air particulièrement compréhensif à l’égard de cette demande si légitime, et lui répond tout à côté: « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie à choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »  Devant cette page d’Évangile bien connue, mais difficile, tous ou presque s’identifient à Marthe, bien plus qu’à sa sœur dont on ne sait finalement pas grand-chose, sinon qu’elle ne veut pas se fatiguer…

(…)

C’est qu’il y a en notre cœur un petit païen qui veut entretenir avec Dieu des relations claires, c’est-à-dire commerciales. « Les bons comptes font les bons amis », dit-on avec ceux qui justement ne sont pas nos amis. Le païen de l’Antiquité faisait les choses clairement : un sacrifice à Neptune, et en échange le dieu de la mer veille sur mon voyage. Donnant-donnant, dans la plus parfaite justice comptable. L'amour gratuit de Dieu nous déstabilise, et nous préférerions avoir avec lui quelque chose de plus sûr : je paie, il livre. On essaie de l’acheter par des efforts (qu’on appelle bien souvent des « sacrifices », comme par hasard) : je vais à la messe plutôt que de rester dormir, et en échange, tu protèges ma famille. On nous a appris à ne pas le formuler comme cela, bien sûr, mais c’est profond en nous. Et cela ne se révèle, bien souvent, que lorsque Dieu n’a pas fait sa part du contrat, et qu’on le lui reproche alors : pourquoi ma femme me quitte- t-elle, alors que j'ai fait tout ce que tu m'as demandé ? Je n’avais pas pris la formule « tous risques » ?  

 

Et notre païen intérieur nous convainc qu’on agit forcément bien, puisque ces sacrifices nous contrarient. Ces efforts vont contre nous-mêmes, donc il faut bien que Dieu compense. On fait tout ça pour lui faire plaisir, on se complique la vie pour lui, donc il nous doit bien quelque chose en retour. Le bien pour Dieu, c’est forcément un mal pour nous - en tout cas une privation, une difficulté, une concession qu’on lui fait. Marthe, Marthe, tu perds ton temps quand tu crois rendre service au Christ parce que tu te compliques la vie, quand tu opposes le bien et ce qui te fait du bien ! Marthe, Marthe, tu fais fausse route quand tu penses que la volonté de Dieu, c’est le contraire de ta volonté : vous faites alliance, Dieu et toi, et cette alliance vous fait marcher dans la même direction ! Ce que tu fais, et tes efforts, et ton dévouement, ne t’enlèvent rien : au contraire, c’est toi qu’ils enrichissent, parce qu’ils t’apprennent à aimer davantage. Le Royaume de Dieu, que tu recherches, ne te sera pas donné en récompense de tes efforts : il t’est déjà donné en partage.  C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre cette histoire de meilleure part, qui semble tout de même un peu étrange, parce qu’elle paraît indiquer qu’il y a des activités meilleures que d’autres, qu’il y a des vies qui valent mieux que d’autres. Dans l’histoire de l’Église, ces modes de vie ont peu à peu pris un nom : et l’on a opposé la contemplation à l’action, la vie contemplative à la vie active - la première étant naturellement considérée comme bien supérieure à la seconde...

 

 

Roger van der Weyden
Retable de la nativité, vers 1450

Roger van der Weyden
Retable de la nativité, vers 1450



05/01/2020
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