art chrétien

La mère et l'enfant se regardent

Dans un livre de 1996 paru chez mame, Noël sous le regard des peintres", Eliane GONDINET-WALLSTEIN propose de belles méditations sur certaines représentations de la nativité à travers les ages. Son commentaire de la Fresque de Giotto (Padoue - 1305) m'a aidé à apprécier encore plus cette magnifique nativité.

La Nativité limousine (étudiée quelques pages avant), déjà, respirait la tendresse: la mère et l’enfant n’étaient plus juxtaposés, le geste de Marie exprimait la relation très forte qui les unissait. Mais l’enfant restait inerte, figé dans son statut divin. Ici, un pas est franchi. La scène gagne en naturel, en intimité, en intensité. La femme qui tend l’enfant à Marie est venue aider la jeune accouchée, elle a lavé et habillé le nouveau-né. Et les mains de Marie le reçoivent précautionneusement, avec ce respect émerveillé qu’éprouve toute jeune maman au moment de prendre dans ses bras son bébé tout neuf. Le mouvement -une souple torsion de tout le corps - fait glisser le voile de la Théotokos (mère de Dieu) sur ses cheveux de jeune femme bien humaine, coiffée en tresses comme l’étaient les jeunes femmes du temps de Giotto. La mère et l'enfant se regardent pour la première fois: les yeux dans les yeux. C'est l’intensité de cet échange qui signe la divinité de l’enfant.

Et c’est autour de cet échange de regards que les autres personnages décrivent un mouvement tournant: amorcé par le bœuf et par l'âne, continué par Joseph bien qu’il paraisse lui tourner le dos, faisant face au spectateur. Joseph, pourtant, n'est pas si absent qu’i1 en a l’air. Les yeux mi-clos, il médite. Son « sommeil» peut être rapproché de celui que les peintres italiens du Moyen Age, dans leurs représentations de la Cène, attribuent volontiers à l’apôtre Jean couché sur la poitrine de Jésus: un sommeil analogue à celui de l’épouse du Cantique des Cantiques, qui dort, écrit saint Bernard, «d'un sommeil de vie, d’un sommeil vigilant mais qui n’assoupit pas les sens, qui les ravit et les transporte ›› (Sermon52 sur le Cantique). Ainsi pourrait être le sommeil de Joseph, sa position frontale ayant pour rôle d’entraîner l’esprit du spectateur dans ce mouvement contemplatif.