justice
Il ne s'agit pas seulement de migrants
Le pape François, dans son message pour préparer la "journée du migrant et du réfugié" de Septembre 2019 développe à nouveau des thèmes qui lui sont chers, et qui répondent à une actualité bien actuelle. Ce texte ouvre des pistes de réflexion autour des enjeux de l'accueil ou du refus, il montre avec pertinence combien ce sujet est un révélateur de nos valeurs personnelles, et aussi des valeurs de nos sociétés.
Les sociétés économiquement les plus avancées ont tendance à développer en leur sein un individualisme accentué qui, uni à une mentalité utilitariste et multiplié par le réseau médiatique, produit la “ mondialisation de l’indifférence ”. Dans ce contexte, les migrants, les réfugiés, les personnes déplacées et les victimes de la traite des personnes sont devenus l’emblème de l’exclusion car, au-delà des malaises que comporte en soi leur condition, on fait peser sur eux un jugement négatif qui les considère comme cause des maux de la société.
L’attitude à leur égard constitue une sonnette d’alarme qui nous avertit du déclin moral qui nous guette si l’on continue à concéder du terrain à la culture du rejet. De fait, sur cette voie, tout sujet qui ne rentre pas dans les canons du bien-être physique, psychique et social court le risque de la marginalisation et de l’exclusion.
C’est pourquoi la présence des migrants et des réfugiés – comme, en général, des personnes vulnérables – représente aujourd’hui une invitation à retrouver certaines dimensions essentielles de notre existence chrétienne et de notre humanité, qui risquent de s’assoupir dans un style de vie rempli de confort.
C’est en cela que l’expression « il ne s’agit pas seulement de migrants » signifie qu’en nous intéressant à eux, nous nous intéressons aussi à nous et à tous ; en prenant soin d’eux, nous grandissons tous ; en les écoutant, nous laissons aussi parler cette part de nous que nous gardons peut-être cachée parce qu’aujourd’hui elle n’est pas bien vue.
le fumier du diable
Un texte étonnant de Pier Pao Pasolini (écrits corsaires 1974) où le cinéaste marxiste s'adresse à l'Eglise. Est-on si loin du pape François, dont je vous propose un extrait du discours de Santa Cruz
Si les fautes de l'Église ont été nombreuses et graves dans sa longue histoire de pouvoir, la plus grave de toutes serait d'accepter passivement d'être liquidée par un pouvoir qui se moque de l'Évangile. Dans une perspective radicale, peut-être utopiste ou, c'est le moment de le dire, millénariste, ce que l'Église devrait faire pour éviter une fin sans gloire est donc bien claire : elle devrait passer à l'opposition et, pour passer à l'opposition, se nier elle-même. Elle devrait passer à l'opposition contre un pouvoir qui l'a si cyniquement abandonnée en envisageant sans gêne de la réduire à du pure folklore. Elle devrait se nier elle-même, pour reconquérir les fidèles ( ou ceux qui ont un "nouveau" besoin de foi) qui l'ont abandonnée à cause justement de ce qu'elle est.
En reprenant une lutte qui d’ailleurs est dans sa tradition (la lutte de la papauté contre l’empire), mais pas pour la conquête du pouvoir, l’Église pourrait être le guide, grandiose mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent le nouveau pouvoir de la consommation, qui est complètement irreligieux, totalitaire, violent, faussement tolérant et même, plus répressif que jamais, corrupteur, dégradant (jamais plus qu’aujourd’hui n’a eu de sens l’affirmation de Marx selon laquelle le Capital transforme la dignité humaine en marchandise d’échange). C’est donc ce refus que l’Église pourrait symboliser, en retournant à ses origines, c’est-à-dire à l’opposition et à la révolte. Faire cela ou accepter un pouvoir qui ne veut plus d’elle, ou alors se suicider.
Pape françois - Santa Cruz - 2015
Et derrière tant de douleur, tant de mort et de destruction, se sent l’odeur de ce que Basile de Césarée appelait “le fumier du diable”; l’ambition sans retenue de l’argent qui commande. Le service du bien commun est relégué à l’arrière-plan. Quand le capital est érigé en idole et commande toutes les options des êtres humains, quand l’avidité pour l’argent oriente tout le système socio-économique, cela ruine la société, condamne l’homme, le transforme en esclave, détruit la fraternité entre les hommes, oppose les peuples les uns aux autres, et comme nous le voyons, met même en danger notre maison commune.
Le combat que j’ai toujours mené correspond à mes yeux au rôle de l’Église
Le délire autour de la mort de Johny a fait oublier celle d’une autre homme : Henri Burin des Roziers est mort à Paris, dimanche 26 novembre, à l’âge de 87 ans. Dominicain, il était l'avocat des « sans terre » au Brésil, où il aura durant une quarantaine d'années défendu les droits des paysans et des plus démunis, malgré les menaces de mort. L’hebdomadaire La Vie vient de republier une interview de lui.
Je ne me souviens pas de ma première rencontre avec la foi. Pas plus d’ailleurs que de ma première communion ou de ma communion solennelle. Certes, je me rappelle du climat de fête et de ma grand-mère m’offrant un christ en ivoire, comme c’était la tradition. Mais c’est tout. Enfant, et même adolescent, je ne lisais pas beaucoup la Bible, et je n’étais pas un fervent pratiquant. En revanche, j’ai un souvenir très marquant des visites chez les familles pauvres de la région parisienne que j’ai commencé à faire, à la fin de mes études secondaires, dans le cadre de groupes de chrétiens. La guerre venait de se terminer. Au contact de ces personnes, j’ai senti que l’élan de solidarité qui me portait était profondément ancré en moi. C’était quelque chose qui touchait ma foi.
Je suis né dans une famille de la haute bourgeoise catholique, traditionnelle et croyante. Lors de la Seconde Guerre mondiale, mes parents ont opté pour la France libre, ce qui était très rare à l’époque. J’en ai gardé des valeurs qui m’ont accompagné tout au long de ma vie : l’esprit de résistance et le droit d’un peuple à son autonomie. J’ai ressenti cela avec plus de force encore lorsque, entre 1954 et 1956, j’ai été appelé sous les drapeaux au Maroc, en Tunisie puis en Algérie, au moment de l’insurrection. J’y ai découvert la tragédie de la guerre et la lutte d’un peuple pour sa liberté et son indépendance. Cela m’a amené à me questionner sur mon option de vie. Alors que j’avais envisagé d’étudier le droit pour enseigner, le monde académique me paraissait désormais dénué de sens.
À mon retour d’Algérie, j’ai eu la chance de rencontrer quelques dominicains à Paris et j’ai commencé à penser à la vie religieuse. Grâce à l’obtention d’une bourse d’études, je suis allé faire mon doctorat de droit à Cambridge, où j’ai rencontré le père Congar, un brillant théologien dominicain, condamné à l’époque au silence par le pape Pie XII pour ses prises de position progressistes. Celui qui deviendra l’un des principaux inspirateurs du concile Vatican II m’a aidé à comprendre ma vocation. Il avait une foi très profonde, une immense ouverture d’esprit et surtout une grande liberté à l’égard de l’institution. Après avoir obtenu mon doctorat en droit, je suis revenu à Paris. Ma décision était prise : j’allais entrer chez les Dominicains. Mes parents ont été stupéfaits, mais ils ont accepté.
J’ai été ordonné prêtre le 7 juillet 1963. Jusqu’à la fin de 1968, j’ai été aumônier des étudiants de droit, rue Gay-Lussac (Paris Ve), en compagnie de mon ami Jean Raguénès. Cela a été le seul centre ouvert pendant les mouvements étudiants de Mai 68. Là encore, je me suis interrogé sur la distance entre notre monde religieux et la vie réelle, celle du monde du travail. C’est pour cela que je suis parti travailler dans l’est de la France, comme chauffeur routier. En 1970, j’ai été employé à la Ddass d’Annecy. Là, j’ai été révolté par le traitement réservé aux clochards ou aux travailleurs saisonniers. Entre 1973 et 1978, j’ai aussi travaillé dans plusieurs entreprises métallurgiques du sud de la France, aux côtés de travailleurs immigrés exploités et victimes de racisme.
C’est ensuite que j’ai demandé à partir pour le Brésil, un pays dont j’avais entendu parler par des dominicains brésiliens réfugiés en France au début de la dictature, en 1964. J’ai été profondément marqué par la situation socio-économique, politique et religieuse que j’ai découverte en arrivant dans ce pays. Dans le « Bec du perroquet », une région du sud de l’Amazonie où j’ai été envoyé par la Commission pastorale de la terre (CPT), j’ai réalisé l’oppression féroce qu’exerçaient les plus puissants – grands propriétaires terriens, politiciens, policiers et représentants de la justice – sur les plus démunis. Des hommes et des femmes dont la vie valait souvent moins que celle d’une tête de bétail. Pourtant, ces pauvres, ces préférés de Dieu, luttent pour la dignité et la justice, face à un système qui les marginalisent, au point parfois de les éliminer physiquement.
Je ne devais rester que trois mois dans cette région de l’Amazonie. J’y suis encore aujourd’hui ! Pendant toutes ces années, défendre les pauvres et lutter pour la reconnaissance de leurs droits a alimenté ma foi. Ce combat m’a aussi valu de nombreuses menaces de mort, notamment en 2000 lorsque, devenu avocat, j’ai réussi à faire condamner à 20 ans de prison le commanditaire du crime d’un leader syndical. Des menaces, j’en ai reçues également en 2005. Lorsque, cette même année, la religieuse américaine Dorothy Stang, qui était mon amie, a été assassinée, j’ai dû accepter, à contrecœur, une protection policière permanente. Ce qui ne m’a pas empêché de recevoir, en novembre 2007, de nouvelles menaces de mort.
Aujourd’hui, je suis « libéré » de cette protection policière. Mais au fond, j’ai toujours eu la conviction qu’il ne m’arriverait rien. À mon âge, je sais que la mort est dans l’ordre des choses. Le plus important, c’est que le combat que j’ai toujours mené correspond à mes yeux au rôle de l’Église et à l’ordre des Dominicains auquel j’appartiens. Je me sens donc en cohérence avec le Christ et j’ai le sentiment d’avoir toujours œuvré à la défense de valeurs justes contenues dans l’Évangile
Suis-je le gardien de mon frère ? (genèse 4-9)
Geneviève JACQUES, présidente de La Cimade à propos des "délinquants solidaires", personnes poursuivis pour avoir aidé des migrants.
La légitimité de la solidarité humaine au-delà du respect de la légalité
Celles et ceux qui s’engagent à apporter leur soutien aux personnes migrantes laissées au bord du chemin, au bord du droit, expriment avant tout leur humanité.
En conscience, ils manifestent que pour eux la légitimité de leur action s’impose s’il s’agit de protéger la vie, la dignité et les droits fondamentaux d’êtres humains en danger. Même si c’est en contradiction, ou aux marges de la légalité.
S’affirmer « délinquants solidaires » n’est pas qu’un slogan : c’est un acte de résistance citoyenne, au risque de la désobéissance civique. Au nom d’une éthique qui place l’humanité au centre.
C’est aussi un cri d’alarme devant les conséquences de la spirale sécuritaire qui peut balayer des principes fondamentaux qui nous permettent de vivre ensemble.
Si la solidarité devait être considérée comme un délit, c’est toute la cohésion de notre société qui s’effondrerait. Avec tous les risques de fracture sociale que l’on voit déjà poindre.
Mets ton oreille contre le sol
Dom helder Camara – Le désert est fertile
Mets ton oreille contre le sol
et interprète les rumeurs autour de toi.
Ce qui domine,
ce sont des pas inquiets et agités,
des pas lourds d’amertume et de révolte…
Ils n’ont pas encore commencé les premiers pas d’espérance.
Approche davantage ton oreille du sol.
Délie tes antennes intérieures :
le Maître chemine aux alentours.
Il est plus facile qu’il soit absent aux heures heureuses
qu’aux heures dures des pas incertains et difficiles…