La religion a pour mission d'inquiéter
Gabriel ringlet
L'évangile d'un libre penseur
(P23-25)
Comment prononcer doucement une parole forte ? Comment partager sereinement une parole entrée comme une effraction dans la sphère du confort spirituel ? Une parole qui nous vient de plus loin que nous, et qui n’est pas une simple parole de consolation. Car la religion n`est pas là pour donner bonne conscience ou récupérer les angoisses. Elle a mission d’inquiéter l’homme, au beau sens du mot inquiétude, de le tenir debout, éveillé, ouvert, ce qui, j'en conviens, n’est pas du tout reposant.
Mission, aussi, de «faire chemin contre elle-même » dit Ricœur et de lutter contre son propre fondamentalisme.
Voilà l'invitation et le pari : se méfier des mobilisations trop fortes. Eviter le trop-plein d’absolu. Et trouver dans ma propre confession, « dans le fond même de ma conviction, de quoi condamner et briser le moment de violence de la conviction ».
Trop-plein de conviction. Trop-plein d’absolu. Une autre violence, silencieuse, ne menace-t-elle pas plus encore et d’autant plus durement qu’elle est moins identifiée et donc plus difficile à nommer : le trop-plein de relatif, le relativisme ? Je devrais même dire le confusionnisme.
Face à ce qui apparaît bien comme une mutation générale du croire, les identités sont hésitantes, morcelées. Les institutions s’équivalent. On ne prend pas position. On renvoie les points de vue dos à dos. Ecoutez donc les bateleurs au marché des «nouvelles» croyances. C'est le règne de l‘adoucissant et de l’idéologie ramasse-tout. Heure est au grand brassage planétaire. Nous sommes tous frères, n’est-ce pas ? Point de différences!
Croyances et pratiques deviennent interchangeables. Et comme pour les produits d’informatique ou d’électroménager, on voit d’un mauvais œil celui qui n’a pas renouvelé sa panoplie de sagesses exotiques...
J’aime entendre, à ce propos, la formule percutante du théologien orthodoxe Olivier Clément : « L’homme ne se sauve pas en se dissolvant. »
Je ne cache pas que ces « arrangements », ces «bricolages idéologiques », ce syncrétisme doux, ce relativisme mou, m’inquiètent presque autant que le fanatisme. Parce qu’ils conduisent à l’indifférence. L’indifférence à l’autre surtout.
Suis-je trop sévère à l’égard de ce «tourisme spirituel » ? Ne faut-il pas tenter de mieux comprendre pourquoi tant de gens refusent d’« adhérer» mais sont prêts à remplir leur caddie dans les supermarchés du religieux ?
Pour se recomposer, me soufflent à l’oreille les sociologues de la religion. Pour retrouver une cohérence, une unité intérieure dans un monde où l’obscurité décourage l’utopie. Car c’est bien là le difficile, explique Danièle Hervieu-Léger : faire un choix personnel dans l’émiettement des significations, à une époque où la religion est devenue matière à option.
(…)
Le véritable défi auquel chacun se trouve confronté, c’est d’aller loin en soi. C’est d’accueillir le ciel qui habite. C’est de raviver la liberté qui le brûle. C’est de se dresser dans sa pleine stature homme ou de femme.
C’est de se laisser traverser par la douleur du monde et retrouver ce lieu inviolable où personne ne peut pénétrer sans son consentement.
A découvrir aussi
- La grâce de Dieu, plus forte que nos vertus (1)
- L’ascète au bol d’huile.
- Résister comme Jésus au désert
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 19 autres membres