Bartimée

Bartimée

L’ascète au bol d’huile.

  C’était un ascète renommé pour ses austérités. Un jour qu’il se trouvait devant la statue de Shiv il l’invoque disant “Il n’est rien, Seigneur que je ne sois capable de faire par dévotion pour toi. Impose-moi n ‘im­porte quelle épreuve et tu verras que je dis vrai”. Ainsi, priait-il comme on jette un défi.

Alors la statue s’anima et laissa tomber de ses lèvres de bronze « Prends un bol, emplis-le d’huile jusqu’au bord. Place-le sur ta tête. Va, traverse le marché, traverse la ville, rue par rue et reviens. Que pas une goutte ne s’en perde ! »

L’ascète emplit le bol, le plaça sur sa tête, partit les bras en balancier, répétant à chaque pas « Que pas une goutte ne s’en perde ». C’était un jour de marché. Il traversa la foule, il traversa la ville rue par rue. Pas une goutte d’huile ne se perdit. Il déposa, satisfait le bol devant la statue, certain d’avoir mérité la Grâce de Dieu. Il prit la statue à témoin de sa victoire, mais la statue de bronze demeura de bronze. Il pria, cria, invoqua sans obtenir aucune réponse : la statue souriait avec dédain.

L’homme se demanda stupéfait si Dieu l’avait trompé. Les jours suivants non plus, Shiv ne sortit pas de son silence. Si bien que le dévot, ayant en vain épuisé toutes les formules, désespéra. La tête entre les genoux, il pleurait amèrement et il répétait dans ses larmes : « Et pourtant pas une goutte, pas une goutte d’huile ne s’est perdue ».

Alors, la statue s’anima, mais pour éclater en colère « Qu’ai-je à faire de ton huile, imbécile ? Moi, Dieu, qu’ai-je à faire d’un bol d’huile ? Combien de fois pendant que tu portais cette huile sur ta tête, combien de fois, dis, imbécile, combien de fois as-tu pensé à moi ? »

Et l’homme ne sut que répondre, car il constatait que tout le temps il avait pensé à l’huile et à la goutte qu’il ne fallait pas perdre...

Shiv lui dit : « Mieux eût valu répandre tout le bol, en pensant une fois à moi avec transport. Mieux vaudrait, mon ami laisser là toutes les austérités qui font de toi un ascète illustre, mais aimer ton Dieu, ne fût-ce qu’un peu dans le secret ».

 

Lanza Del Vasto



05/02/2014
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