Bartimée

Pietro De Paoli (Christine Pedotti) dans son livre « Dans la peau d’un évêque » (Plon 2010) reprend pour héros le prêtre de 43 ans de son précédent livre. Il est devenu évêque d’un petit diocèse, et fait face à la crise née de la levée, par Benoit XVI, des excommunications qui frappaient les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefèbvre, dont un connu pour ses positions révisionnistes.

Cela permet à cet évêque des réflexions sur le concile Vatican II qui sont aussi les miennes. Lorsque j’ai vu les sœurs qui gèrent ma paroisse réinstaurer une procession avec lancer de pétales de roses pour la « Fête-Dieu » il y a quelques semaines, j’ai repensé à cet extrait…

Et d’abord, on reparle du concile de Vatican II. Non seulement on en parle, mais on relit les textes.

Et ça, c’est une sacrée bonne chose, car ces dernières années, le concile avait été lentement et sûrement enterré. Là, il revient au cœur de l’actualité.

Certes, les adversaires de Vatican II eux aussi parlent fort. Selon eux, c’est le concile qui a été le fossoyeur de la chrétienté ; il suffit de juger l’arbre à ses fruits, et ses fruits sont secs et amers : disparition des catholiques et des prètres, disparition de la morale, dépravation de la société.

Mais il y a aussi tous ceux qui, comme moi, savent qu’ils sont chrétiens et catholiques à cause de l’espérance que le concile a fait lever, une espérance fragile, ténue, trés éloignée d’un quelconque triomphalisme.

Le Christ nous a-t-il jamais promis une chrétienté universelle, lui qui déclare : « Mon royaume n’est pas de ce monde...» ? La domination sur toutes les nations de la Terre est l’une des tentations du Christ, et il la refuse. Nous serions bien inspirés d’en faire autant!

Non, je ne crois pas que les fruits de l’Évangile se comptabilisent en « parts de marché», nombre de

pratiquants, de prètres ou de fans sous les fenètres du pape.

L’Évangile porte des fruits chaque fois qu’un malade est visité, chaque fois qu’un pauvre est regardé comme un frère, chaque fois qu’un pécheur est pardonné, chaque fois que des ennemis se réconcilient, chaque fois qu’un être humain désire le bien et le bonheur d’un autre avant son propre bonheur, chaque fois qu’un humain qui souffre trouve un autre humain pour lui tenir la main…

Quant à savoir si le concile de Vatican II est pastoral ou dogmatique, le débat est absurde. Depuis quand le mot pastoral est-il devenu synonyme de négligeable, discutable, laxiste? Et Jésus, et l’Evangile? Sont-ils pastoraux ou dogmatiques? Le Christ dit de lui-même qu’il est le bon pasteur, pas qu’il est un professeur de théologie. L’Évangile, ce n’est pas une constitution dogmatique, et ça ne retire rien à son autorité. Moi, je crois que la seule question est : Ce concile est-il évangélique ?

Il est vrai qu’il y a un problème avec la mise en œuvre des intuitions des pères conciliaires. Quelque chose ne marche pas. Je crois que le concile a surtout commis l'erreur de verser le vin nouveau de l’Évangile dans les vieilles outres d’une religiosité surannée et tannée par le temps, alors bien sûr, les outres ont crevé. Heureusement que le vin est abondant et que sa source ne tarit pas.

Quand j'écoute les adversaires du concile, je vois bien qu'ils regrettent les vieilles outres ; les processions, les rogations, les adorations. Et ils nomment leur nostalgie Tradition. Mais je ne les entends guère parler du vin. Savent-ils même quel goût il a ?

À cela, il faut ajouter notre impatience. Le pape Paul VI n’écrivait-il pas à Mgr Lefebvre en 1975 :

« Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important que celui de Nicée. » Et on voudrait le digérer en quelques dizaines d’années ? C’est compter pour bien peu les pesanteurs ordinaires des sociétés et des psychismes humains !

(p 273)