Bartimée

Gilbert CESBRON a publié en 1978 « huit paroles pour l’éternité », une longue méditation sur les Béatitudes. Il en propose d’ailleurs une traduction personnelle, un peu étonnante parfois.

J’ai lu ce livre il y a longtemps, il m’a marqué, par son ton vigoureux, parfois rugueux et polémique. En ce jour où la liturgie de la Toussaint nous fait entendre ce texte fondateur de notre foi, voilà  un premier extrait.

Ces huit Paroles les voici, telles que les Douze, et la foule, et le lac, et le ciel, et les pierres elles-mêmes les ont entendues de la bouche du Fils de l'homme - entendues avec la singulière sensation de plutôt les réentendre, car n’étaient-elles pas déjà inscrites en eux?

Inscrites en chacun de nous, mais enfouies sous des siècles d’infidélité, les voici :

BIENHEUREUX CEUX QUI ONT L'ESPRIT DE PAUVRETE,

                                         CAR LE ROYAUME DE DIEU EST À EUX.

BIENHEUREUX LES NON-VIOLENTS :

                               ILS POSSÉDERONT LA TERRE.

BIENHEUREUX CEUX QUI PLEURENT,

                              CAR ILS SERONT CONSOLES.

BIENHEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE LA SAINTETÉ :

                             ILS SERONT RASSASIÉS.

BIENHEUREUX LES MISÉRICORDIEUX,

                                                       CAR ILS OBTIENDRONT MISÉRICORDE.

BIENHEUREUX LES COEURS PURS,

                               CAR ILS VERRONT DIEU.

BIENHEUREUX CEUX QUI TRAVAILLENT POUR LA PAIX,

                                                     ILS SERONT APPELÉS FILS DE DIEU.

BIENHEUREUX CEUX QUI SONT PERSÉCUTÉS POUR LA JUSTICE,

                                                     CAR LE ROYAUME DE DIEU EST À EUX.

(...)

Le point où se rejoignent ainsi les huit Béatitudes se nomme l'Amour.

C'est le carrefour du Roi.

Un libre océan, une allée ouverte: ces images conviennent; car il faut bien s'aviser et proclamer qu’aucune des huit Béatitudes ne constitue une interdiction. Evidence méconnue et qui révèle le vrai visage du christianisme, l'amour ne peut interdire sans se perdre aussitôt.

Chaque fois que l'Eglise ne ressemble pas à ce visage-là, c'est qu'elle trahit. Chaque fois qu'elle brandit une morale d'interdiction et que ses confesseurs se penchent sur nos péchés comme les médecins du Roi-Soleil sur les excréments de leurs malades, elle peut être assurée, elle aussi, de ne pas nous guérir.

 La vie publique de Jésus de Nazareth ne fut qu'une longue marche, et à nous aussi il prescrit d'avancer sans cesse : « Laissez les morts enterrer leurs morts... Qui a mis la main à la charrue et se retourne n'est pas digne du Royaume... » Presque toutes ses « duretés » ne sont que pour ceux-là qui restent en place, cachent leur talent, font sans fin et non sans complaisance leur examen de conscience, hommes de code, de catalogue, âmes myopes, soucieuses de minuties légales tandis que leurs frères agonisent. En avant!

Les huit Paroles décisives sont toutes «positives » ; c'est ensuite seulement, pour illustrer les infractions que nous ne cessons de commettre, que le Christ détaillera toutes sortes d’interdictions, ou plutôt de mises en garde. Elles ne sont, dans le Sermon sur la montagne, que les ombres inévitables d'un soleil éblouissant. « Gardez-vous de pratiquer votre sainteté devant les hommes » ? Sans doute, mais d'abord « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la sainteté ». « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre. Ne soyez pas en souci de ce que vous mangerez ni de quoi vous vous vêtirez. ››? Bien sûr. Puisque «Bienheureux ceux qui ont l'esprit de pauvreté ».Et comment les vrais miséricordieux auraient-ils la tentation de juger, de dénoncer ou seulement d’observer la paille qui est dans l'œil de leur prochain?

Aucune des Béatitudes n’a forme d’une interdiction, chacune d’elles est une porte ouverte.

(p 18)