Le ressuscité est finalement un peu décevant...
Une grande chose en soi, mais si peu d'effets... C'est ce que je me dis quand je contemple l'état du monde ce matin : j'y vois bien peu la trace de cet événement unique que fut la Résurrection du Seigneur. Le jésuite Jacques Guillet, dans son livre "Jésus Christ hier et aujourd'hui ", proposait une belle méditation sur cet absence de changement qui nous déçoit un peu...
Mais Jésus ressuscite, le Fils de Dieu entre dans sa gloire et tout, pensons-nous, va changer. L'épreuve terminée, les choses vont reprendre leur cours normal. C'est ici le point où la sagesse humaine se trouve vraiment dépassée, confondue par la force de Dieu. (…)
Ce qu'apporte le Christ ressuscité est quelque chose d'entièrement original, de proprement divin. Jésus ressuscite dans la gloire de son Père et cette gloire remplit le ciel et la terre. Toutes les richesses de la création sont à lui ; invulnérable à la douleur, à la déchéance et à la mort, il jouit partout à la fois de l'univers entier, il dispose de l'avenir, jusqu'à la consommation des siècles. Rassemblant ses disciples sur une haute montagne, qui évoque celle d'où Satan lui avait fait contempler les royaumes de la terre, il reprend à son compte l’affirmation mensongère du diable : « Tout pouvoir m'a été donné, au ciel et sur la terre ». Pourtant ce pouvoir n'est pas celui de la richesse. Jésus ressuscité n'apporte aux siens ni la fortune ni même la moindre amélioration à leur genre de vie. Par un paradoxe qui déconcerte notre naïveté, de l’affirmation : « Tout pouvoir m’a été donné », il tire cette conclusion dont la logique nous paraît étrange : «Allez donc, de toutes les nations faites des disciples… ». Il les prévient ainsi que leur existence reproduira exactement celle qu'ils ont menée à sa suite, tant qu'il vivait au milieu d'eux, dans la poussière des chemins, l’incertitude de 1'accueil, à la merci de l’indifférence ou de l’hostilité, chargé d'un message redoutable et sans moyens humains pour s'imposer.
Est-ce là tout ce que le Christ ressuscité apporte aux siens?
Il y a plus étrange peut-être : Jésus lui-même est-il devenu riche? Des richesses de la terre, il est naturel qu'il se passe, maintenant que toute la création est à sa disposition. Mais cette pauvreté plus profonde qui le distinguait, cette façon de dépendre des hommes, des événements, de la conduite du Père, ne la retrouve-t-on pas identique après la résurrection? Qu'y a-t-il en lui de changé? Ressuscité, il devrait, nous semble-t-i1, imposer sa présence à Jérusalem et conquérir ainsi ceux qui, avant-hier, le défiaient de descendre de sa croix. Ils seraient les premiers à l'acclamer et sa résurrection serait réellement un triomphe. Elle serait bien plus qu'un triomphe personnel, le retournement d'une ville entière, d'un peuple, la conversion d'Israël, le triomphe de Dieu.
Or, le triomphe de Jésus se réduit à quelques apparitions à des témoins préparés. Jérusalem demeure partagée, en partie remuée, mais au fond hostile et souvent persécutrice, et la conversion du peuple juif, simplement entamée, n'est aujourd'hui encore pour le chrétien qu'une espérance certaine, vécue dans la pauvreté de l'attente. Jésus ressuscité ne s'impose pas plus que Jésus mortel, et demeure le Fils qui tient tout de son Père, qui « monte à son Père », qui envoie aux siens « la promesse du Père » et qui les confie «au temps fixé par la seule autorité du Père ».
Le Christ ressuscité demeure le Christ pauvre de Bethléem et du Calvaire, celui qui a choisi pour amis les pauvres et les petits, et qui garde avec eux, maintenant qu'il est entré dans la gloire, la même aisance familière, la même humanité simple.
Les siens, ce sont toujours les pauvres, et c'est en eux qu'i1 demeure présent pour nous depuis qu'il n'est plus visible : les pauvres, les malades, les prisonniers, ceux qui, durant sa vie, composaient son entourage habituel et qui demeurent jusqu'à la fin des siècles son prolongement personnel. Le Christ ressuscité, c'est toujours le pauvre, le laissé pour compte qui nous embarrasse et que nous abandonnons sur le bord de la route.
(p 104)
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