la Miséricorde retourne toute chose comme un gant
BIENHEUREUX LES MISÉRICORDIEUX, CAR ILS OBTIENDRONT MISÉRICORDE.
Gilbert Cesbron, dans « huit paroles pour l’éternité », a de belles pages sur cette vertu qui passe parfois pour de la mièvrerie, ou de la naïveté.
Mais avoir miséricorde, ce n'est pas seulement pardonner, sinon l’application en serait bien étroite et bien hasardeuse. Car n'a vraiment le droit de pardonner que celui qui est offensé délibérément, sans provocation ni tort préalables de sa part, même involontaires. Or, à y regarder de près et sans complaisance, l’occasion est plutôt rare... Tandis que chaque rencontre, chaque entretien, et même chaque fait qui vous est rapporté ouvre une possibilité de Miséricorde - et voici comment.
Il existe deux manières d'interpréter ce que sont (ou plutôt paraissent être) les autres, ce qu'ils font, ce qu'ils disent, ce qu'ils pensent. L'une qui prétend juger, donc accuser ou, à tout le moins, étiqueter de l’extérieur; l'autre qui tente de comprendre et, à tout le moins, fait crédit. De la première attitude, dite « réaliste ››, découlent la méfiance, parfois le mépris, parfois la violence et toujours une certaine peur. De la seconde, et c'est proprement la Miséricorde, naissent la bienveillance, la confiance et finalement l’amour
L’AMOUR ou LA PEUR? C'est-à-dire le Royaume parmi nous, ou bien le règne du Prince de ce monde? - L'enjeu est de taille (…)
Ainsi entendue, voici que la Miséricorde retourne toute chose comme un gant et devient une seconde vision du monde et des êtres. On change, une fois pour toutes, de lunettes. Elle est «un certain regard» posé sur les autres, et différent suivant qu'on les connaît déjà ou qu'on ne les connaît pas. Dans le premier cas, l'on cherche discrètement mais inlassablement ce qu'ils ont de plus profond: ce que justement on ne reconnaissait pas encore en eux; dans le second, ce qu'ils ont de précieux, d'unique.
Ce regard de la Miséricorde nous dote des yeux mêmes de Dieu, puisque nous nous demandons devant chacun: «Qu'a-t-il d'exquis et de si personnel pour que Dieu l’aime? » C’est le secret de l'attitude chrétienne devant autrui: se mettre - pardonnez du peu! - à la place de Dieu. A vrai dire, c'est le secret d'aimer. Et ce regard-là est très exactement à l'opposé du regard mondain (« Qu'a-t-il de ridicule dont nous puissions parler?») et du regard professionnel (« Qu'a-t-il d'utilisable dont je puisse tirer profit? »).
Il ne faudrait pas, pour autant, confondre la Miséricorde avec une sorte de bienveillance universelle qui confinerait à la démagogie: «Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » - ce qui est une dérision. Cette mise-dans-le-même-sac, qui se croit débonnaire, dispense au contraire de toute attention vraie portée aux autres. Elle empêche de reconnaître en chacun et à chacun son unicité: elle le prive d'âme. Le pardon des offenses, l'indulgence, la bienveillance sont des attitudes honorables, mais qui impliquent une sorte de supériorité. On ne prend jamais ce risque avec la Miséricorde qui, au fond, est une reconnaissance implicite que chacun est à l'image de son Créateur et qu'il en porte la trace, si enfouie soit-elle. C’est à cette parcelle de Dieu qu'on fait confiance en chacun. Ainsi, la véritable Miséricorde découle-t-elle de la Foi: de même qu'elle implique l'Espérance que l'autre répondra à cette confiance qu'on lui témoigne d'entrée de jeu, et qu'elle constitue une définition discrète mais attentive de la Charité. Vous le voyez, la Miséricorde est une cousine très proche des trois grandes vertus...
(p 105)
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