le dieu de la poussière que l’on mord et du vinaigre que l’on boit
« Jadis il y avait des dieux partout », Martin Steffens poursuit son analyse du mal qui nous habite et de la réponse du Dieu de Jésus-Christ
Il est des dieux créateurs, avec qui tout commence. Mais un dieu de la case départ dont on ne se départ pas ? Il est mille dieux épatants, spectaculaires. Mais un dieu de la déception que l'on suscite chez ceux que l'on aime ?
Il y a des dieux pour tout. Des dieux qui font tomber l'eau des nuages du ciel, en gouttes de pluie, ou à travers des rochers pointus, en cascades généreuses...
Mais existe-t-il un dieu qui ait pris sur lui d’être avec celui qui tombe et qui retombe encore ? Un dieu qui soit lui-même cette chute, cet abaissement ?
Nous aurions tant besoin de lui : si nos forces d’homme sont incapables de nous faire vaincre, il nous faut le dieu de la répétition qui désespère, de la « fois de plus »qui est une « fois de trop », de cette bonne résolution avortée qui est un coup pour rien.
Or il en est un. Il est un dieu qui a déçu son entourage. Un dieu dont la fidélité n’a pas consisté à ne jamais faillir, mais a été de revenir auprès de ceux qui, parce qu’il était tombé, s’étaient détournés de lui - et qui, parce que la déception rend méchant, avaient même hurlé contre lui...
Pendant sa Passion, Jésus n’est pas tombé une fois. Mais trois.
Une première fois, il s’est relevé, forçant peut-être l’admiration de quelques-uns, la pitié des autres. Mais le voici qui tombe encore. Et encore une fois. Trois fois. Autant de fois qu’il faut pour que lui soit donné cet attribut qu’aucune religion, même quand elle nomme Dieu de quatre-vingt-dix-neuf façons, n’avait osé lui donner : mieux que le « dieu-descendu-du-ciel », il est le dieu tombé des cieux, le dieu dégringolé, le dieu de la poussière que l’on mord et du vinaigre que l’on boit.
En même temps, trois, c'est le chiffre de la perfection, de l’accomplissement, de la pleine réalisation. Jésus qui porte sa croix et tombe à trois reprises, c'est la perfection de la chute, le complet affaissement, la consommation du ridicule.
Et quand il se redresse, ce dieu étrange, quand un surcroît d'effort le met debout pour la troisième fois, c’est pour aller vers son crucifiement.
Le dieu tombé
Il est donc un dieu du bégaiement, de l’empêchement. Un dieu de la chute et des rechutes.
C’est d'ailleurs de ce dieu, et de lui seul, que nous avons besoin : non de celui que l'homme fabrique avec ses idéaux et qu’il perche en haut, tout en haut, pour culpabiliser de l'écart qui le sépare de ce qu’il voudrait être. Nous avons besoin d’un dieu qui, dans le combat si souvent perdu contre le mal, nous attend plus bas que nous n’oserions le penser.
Ce dieu, c'est le dieu-tombé-trois-fois.
Celui dont Paul proclame que, de condition divine, il ne retint pourtant pas le rang qui l'égalait à Dieu, qu'au contraire il s’anéantit jusqu’à devenir esclave, comme nous le sommes nous-mêmes de tant de choses. Il est celui qui, continue Paul, ayant revêtu notre difficile condition humaine, y alla à fond, y alla au fond, là où mène la chute des hommes. Ayant revêtu ce manteau d’humanité où l’on étouffe, ce dieu mourut jusqu’au bout. Il mourut plus que nous ne mourons nous-mêmes, nous qui ne faisons le mal que pour autant que cela ne nuit pas trop à notre santé. Il mourut de tomber plus bas que nous n’osons nous-mêmes tomber, nous qui nous inventons mille histoires à tenir debout, mille mensonges pour tenir debout.
Il est un dieu qui n’a pas craint la réitération de notre indignité, l'insistance de nos insuffisances. Un dieu a mis ses pas dans les nôtres, chancelants, fragiles, mal assurés, et a ainsi divinisé notre faillite.
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