Bartimée

Gabriel Ringlet – L’évangile d’un libre penseur (p 26)

   La modernité a beaucoup apporté. Pas à tous mais à un grand nombre. Il serait malhonnête de le nier. Va-t-on rejeter la science ? La démocratie ? Regretter les progrès du confort, les avancées de la liberté, la conquête des droits de l’homme et le combat, toujours à reprendre, contre l’obscurantisme et les clôtures cléricales ? Cette modernité-là, elle est acquise, et c’est heureux. Mais elle est usée aussi, à bout de souffle, et le moment semble venu de la conduire plus loin, de la revisiter de l’intérieur. Et c’est bien là que j'ose parler de spirituel. Un spirituel « au cœur de ›› et pas « en dehors››.

   Je crois vraiment que la question spirituelle va nous occuper en ce début de troisième millénaire. Mais pas au sens classique. Pas à travers tous ces « retours ›› religieux dont on nous rebat les oreilles, en faisant mine d’oublier que la sécularisation est passée par là et qu’elle est acquise. Définitivement. L’enjeu n’est pas de restaurer un ordre moral ou de reconquérir des parts de marché. Et si certains y pensent, ils se fourvoient. Je sais, hélas, en religion peut-être plus qu’ailleurs, que la mauvaise monnaie chasse la bonne et qu’une modernité déboussolée conduit des gens épuisés et même de «vrais» scientifiques à changer d’orbite et à rejoindre, voire à diriger des sectes dangereuses.

   A un moment justement - est-ce un hasard ? - où la foi comme la raison sont aussi bousculées l’une que l’autre. Raison de plus - et c’est un combat- pour réhabiliter l’intelligence, et donc l’intelligence de la foi. Je ne parle pas d’une intelligence réservée aux intellectuels. Pas du tout. Je n’ai jamais supporté cette opposition factice entre l’intelligence cultivée et l’intelligence ouvrière. Dans les deux cas il s’agit de «faire œuvre›› et de «lire de l’intérieur››. On a besoin de toute l’intelligence et de toutes les intelligences pour reprendre à nouveaux frais ce vieux dialogue entre raison et transcendance. Non pas en chambre ou dans l'abstrait, mais par le biais de questions aussi essentielles que l’éducation, la solidarité et la responsabilité. Car c’est à travers des débats d’actualité comme l’école, l’orientation de la science, le respect de l’environnement, la sécurité sociale ou le fonctionnement des institutions qu’une même interrogation fondamentale ne cesse de se répéter, et qu’il faudra vraiment rencontrer : qu’est-ce que JE deviens dans cette société qui produit trois fois plus de richesses qu’il y a quelques années avec 30% de force de travail en moins ?