Bartimée

Bartimée

J’espère que Dieu est injuste

A nouveau cette rencontre imaginée par Christine Pedotti entre "le pape" et "le théologien". Leur débat n'a pourtant rien d'imaginaire, il traverse le peuple des croyants depuis toujours. Quel Dieu annonçons-nous : un justicier ou un "Dieu-couette" ? Les arguments du théologien me parlent, mais à chacun de se confronter au jour le jour à cette question...

 

Le pape s'enflamme.

- Dieu donne, mais tu négliges toujours à quel point l'homme est capable de refuser ce qui vient de Dieu. Le péché dévore l’humanité tout entière. Le refus de Dieu est partout. Jamais peut-être il ne s'est affirmé de façon aussi frontale, aussi impudente. Ouvre les yeux, la désobéissance est partout. Les gens veulent être libres. La belle affaire, cette liberté est factice, ils sont esclaves de leurs pulsions, de leur aveuglement, de leur péché.

 Encore un peu, il agiterait les mains aussi bien qu'un Italien. Sa démonstration prend des accents passionnés :

- Autrefois, la fragilité de la vie leur faisait prendre conscience du drame de l’existence humaine. Du plus humble au plus puissant, chacun savait qu'à chaque instant, comme le dit l'Evangile, Dieu « peut te redemander ta vie », et t'en demander compte.

- Et tu crois qu'on peut fonder la relation avec Dieu sur une pédagogie de la peur? Sur la menace du Jugement ?

- Pas la peur, mais la crainte de Dieu. Eh oui, il y aura un Jugement, et pour certains, il y aura  « des pleurs et des grincements de dents ».

- Je crois que je vais t'envoyer mon éditeur anglais, il sera rassuré de savoir que les méchants seront punis.

- Il faut que les méchants soient punis, sinon, Dieu serait injuste.

- Moi je crois, j’espère que Dieu est injuste. Parce que sinon, comme les apôtres je dirais : « Mais Seigneur, qui donc sera sauvé ? »

  Heureusement, quand je pose cette question, j’entends la réponse de Jésus : «A l’homme, c'est impossible, mais à Dieu, tout est possible. »

 C'est une folie perverse qui traverse toute la théologie, et qui a fait faire les pires contorsions intellectuelles, qui essaie de tenir à la fois la miséricorde et la justice de Dieu. Du moins, une conception humaine de la justice.

- Je suppose que parmi les contorsionnistes, tu vises particulièrement saint Anselme.

- Il y a eu bien pire. Après lui, il y a tous ceux qui l'ont mal compris, tous ceux qui font passer le Père pour un monstre assoiffé de colère et de vengeance qui réclame le prix du sang. Tous ceux qui ont inventé des logiques de faux-monnayeurs pour fournir à l’humanité, par le sacrifice du Fils, le prix réputé exorbitant de son rachat.

Et c'est de cette soupe infâme dont les gens ne veulent plus. Dieu merci, et je pèse mes mots, ils n'y croient plus.

- Tu veux dire qu'ils ne croient plus en Dieu ?

- Ils ne croient plus en ce Dieu là, ce Dieu qui se comporterait comme un père noble, au pire sens du terme, et qui préférerait la mort de ses enfants plutôt que le déshonneur.

- Tu brades l’honneur de Dieu comme ça?

- Le Dieu qui a vu son Fils pendu au bois du gibet n'a que faire de l'honneur. Ce Dieu qui pâtit dans la Passion est, de façon définitive, le Dieu de la compassion. C'est d’ailleurs toi-même qui en parlais à propos de la maternité de Dieu.

- Et alors, selon toi, nous devrions leur parler d’un Dieu qui serait une sorte de « bon-papa gâteau », un Dieu couette, un Dieu édredon ? Es-tu certain qu'ils y croiraient davantage?

- Sûrement pas, et d'ailleurs, pour faire bonne mesure, on leur a déjà inventé une bonne « maman du Ciel », douce et blanche comme de la crème chantilly. Et je peux te dire qu'il y en a qui s'en gavent !

- Bon, j'évite de relever tes piques anti-mariales, elles tiennent du tic ou de l’obsession, mais, sérieusement, quel visage de Dieu offrirais-tu, toi ?

- Le seul visage que Dieu nous ait jamais offert, celui du Christ. Celui de l'ami, du frère, de celui qui écoute, de celui qui appelle à l’impossible, à l’héroïsme absolu de l'amour. Celui qui dit que l’amour est une folie et la vit. Je n'ai à offrir qu'un seul visage, celui du Crucifié, et dans ce visage, je ne contemple pas le péché mais l'amour dans sa tension la plus extrême, l'amour indépassable, celui que le mal ne peut plus atteindre : « Père pardonne-leur; ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Qui peut oser penser que le Père désavoue le Fils et ne pardonne pas, ne nous pardonne pas ? Si cette mort atroce n'est pas la fin de l’histoire de Jésus le Nazaréen, si je crois les disciples qui rapportent l’inconcevable et en témoignent au prix de leur vie, alors, je sais que le Jugement de Dieu est un regard de pardon et d'amour qui rend juste le pire des criminels.

 

Reste à savoir si nous accepterons de recevoir ce regard ?

 

 Il ajoute, si bas que le pape ne peut plus l’entendre :

- Je crois que ce regard sera brûlant comme la braise... Accepterons-nous de nous laisser embraser ?

 

Pietro De Paoli

La confession de Castel Gandolfo

Plon 2008      P 133

 



10/09/2018
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