"éternellement déliant les bras de ma miséricorde"
En ce samedi saint, la poésie de Péguy nous permet de pressentir le mystère de ce qui vient d'advenir. Le Père s'adresse à sa fille la nuit, la nuit de l'ensevelissement...
O douce, ô grande, ô sainte, ô belle nuit, peut-être la plus sainte de mes filles, nuit à la grande robe, à la robe étoilée
Tu me rappelles ce grand silence qu’il y avait dans le monde
Avant le commencement du règne de l’homme.
Tu m’annonces ce grand silence qu’il y aura
Après la fin du règne de l’homme, quand j’aurai repris mon sceptre.
Et j’y pense quelquefois d’avance, car cet homme fait vraiment beaucoup de bruit.
Mais surtout, Nuit, lu me rappelles cette nuit.
Et je me la rappellerai éternellement.
La neuvième heure avait sonné.
C’était dans le pays de mon peuple d’Israël.
Tout était consommé.
Cette énorme aventure.
Depuis la sixième heure il y avait eu des ténèbres sur tout le pays, jusqu’à la neuvième heure. Tout était consommé.
Ne parlons plus de cela.
Ça me fait mal.
Cette incroyable descente de mon fils parmi les hommes.
Chez les hommes. Pour ce qu’ils en ont fait.
Ces trente ans qu’il fut charpentier chez les hommes.
Ces trois ans qu’il fut une sorte de prédicateur chez les hommes.
Un prêtre.
Ces trois jours où il fut une victime chez les hommes.
Parmi les hommes.
Ces trois nuits où il fut un mort chez les hommes.
Parmi les hommes morts.
Ces siècles et ces siècles où il est une hostie chez les hommes.
Tout était consommé, cette incroyable aventure
Par laquelle, moi, Dieu, j’ai les bras liés pour mon éternité.
Cette aventure par laquelle mon Fils m’a lié les bras.
Pour éternellement liant les bras de ma justice, pour éternellement déliant les bras de ma miséricorde.
Et contre ma justice inventant une justice même.
Une justice d’amour.
Une justice d’Espérance.
Tout était consommé.
Ce qu’il fallait.
Comme il avait fallu.
Comme mes prophètes l’avaient annoncé.
Le voile du temple s’était déchiré en deux, depuis le haut jusqu’en bas.
La terre avait tremblé ; des rochers s’étaient fendus.
Des sépulcres s’étaient ouverts, et plusieurs corps des saints qui étaient morts étaient ressuscites.
Et environ la neuvième heure mon Fils avait poussé Le cri qui ne s’effacera point.
Tout était consommé.
Les soldats s’en étaient retournés dans leurs casernes.
Riant et plaisantant parce que c’était un service de fini.
Un tour de garde qu’ils ne prendraient plus.
Seul un centenier demeurait, et quelques hommes.
Un tout petit poste pour garder ce gibet sans importance.
La potence où mon Fils pendait.
Seules quelques femmes étaient demeurées.
La Mère était là.
Et peut-être aussi quelques disciples, et encore on n’en est pas bien sûr.
Or tout homme a le droit d’ensevelir son fils.
Tout homme sur terre, s’il a ce grand malheur
De ne pas être mort avant son fils.
Et moi seul, moi Dieu, Les bras liés par cette aventure, Moi seul à cette minute père après tant de pères, Moi seul je ne pouvais pas ensevelir mon fils.
C’est alors, ô nuit, que tu vins.
O ma fille chère entre toutes et je le vois encore et je verrai cela dans mon éternité
C’est alors ô Nuit que tu vins et dans un grand linceul tu ensevelis Le Centenier et ses hommes romains, La Vierge et les saintes femmes, Et cette montagne et cette vallée, sur qui le soir descendait, Et mon peuple d’Israël et les pécheurs et ensemble celui qui mourait, qui était mort pour eux
Et les hommes de Joseph d’Arimathée qui déjà s’approchaient
Portant le linceul blanc.
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