Bartimée

Autre page du roman de Christine Pedotti, "38ans, célibataire et curé de campagne."

Le héros, Marc, connaît une forte crise spirituelle, ce qui le conduit après quelques mois à faire une retraite dans une abbaye, accompagné par un moine, Michel. 

Leur méditation sur l'amour que l'on peut porter à Dieu m'a beaucoup éclairé.

Le dernier jour, Michel et moi avons fait une longue promenade dans les coteaux qui dominent l’abbaye. La terre était lourde de la pluie de la veille. Nous marchions lentement. Nous avons parlé de la prière et des illusions spirituelles. Michel appelle cela «  la tentation de Babel »: se hisser haut, s’élever vers l’azur, empiler les sacrifices, se détacher des réalités de ce monde, les fouler aux pieds, et croire qu'ainsi, on pourra atteindre Dieu. Mais Dieu n'est pas dans l’azur. Il ne sert à rien de garder les yeux fixés sur le ciel, ni d’essayer de l’atteindre.

Je lui ai dit que je croyais avoir découvert autre chose. J’avais un peu de mal à trouver les mots pour le dire - cela l’a fait rire, parce que d'ordinaire, j’ai plutôt le charisme de la parole, et même de la formule.

Je me suis lancé : «Je crois qu’il est impossible d’aimer Dieu. » Il s’est arrêté net, puis m’a encouragé à continuer.

Je lui ai dit qu’il me semblait qu’aimer Dieu est une illusion. En ce monde, c’est impossible. Nous pouvons espérer que nous pourrons l’aimer, quand nous serons devant sa Face. Mais jusque-là, qui pourrait prétendre aimer l’amour absolu? C'est trop grand pour les nains que nous sommes. En attendant, ici, nous n’avons que nos frères à aimer.

«  Et qu'est-ce que tu fais du Premier Commandement : “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit” ? », m'a demandé Michel.

- La loi lui donne immédiatement une suite que sont les Commandements vis-à-vis du prochain... Et que le Christ résume en disant : “Voici le deuxième Commandement qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. ”  Saint Jean ajoute : Celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas, et qui n’aime pas son frère qu’il voit, celui-là est un menteur.  ››

Michel est resté un long moment silencieux.

« Puisque tu deviens mystique, Marc, as-tu remarqué que le Christ ne nous demande pas de l’aimer. A la fin, au bout du bout, il ne reste plus qu’un seul commandement : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ” Et remarque bien qu’i1 ne dit pas : “Aimez-moi comme je vous ai aimés.” La réalité vers laquelle le Christ nous tourne, c'est l’amour du prochain...

Ça ne nous simplifie pas la vie pour autant: sans cesse, il nous faut répondre à la question : “Qui est mon prochain ? ” Et répondre, c'est prendre le risque de s’arrêter au bord du chemin, pour l’étranger, celui à qui je ne dois rien, celui qui va me dérouter. Imiter le Christ, c’est donner sa vie pour l’homme, pour la femme, le vieillard, l’enfant, le riche, le pauvre, le handicapé, le voleur, le menteur, l’immoral, l’ingrat. »

Nous avons poursuivi notre promenade en silence.

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