La religion est un vase d'albâtre qu'il faut casser !!!
Pietro De Paoli (alias Christine pedotti) publie en 2008 "La confession de Castel Gandolfo".
Ce roman s'inspire de la rencontre le 26 septembre 2005, à Rome de Hans Küng et Benoit XVI. Tous deux jeunes et brillants théologiens avaient été experts durant le concile Vatican II. Par la suite leurs routes avaient franchement divergé sur le plan de la pensée.
Le roman situe cette rencontre entre "le pape" et "le théologien" dans la résidence d'été des papes de Castel Gandolfo. Le débat imaginaire met face à face deux conceptions de l'Eglise dans son rapport au monde, chacun ayant de solides arguments à avancer.
J'ai beaucoup aimé ce livre, et je vous en propose deux passages qui me semblent parfaitement d'actualité. Le premier est autour de l'éternel débat entre foi et religion. En ces jours où la religion fait un retour souvent agressif, y compris chez nous catholiques, interroger son lien à la foi semble urgent.
Il s'arrête pour reprendre son soufle, mais le pape en profite pour lui couper la parole :
- Ainsi, tu demeures dans cette vieille querelle, la religion serait contre la foi selon toi. Mais, vois-tu, des gens qui ont trop écouté des apprentis sorciers clans ton genre, il y en a eu plein dans les années soixante et soixante-dix, après le Concile. Ils ont cru que plus on retirerait de religion, plus il resterait de vraie foi. Et à l’arrivée, que voit-on, des multitudes sans repères, des foules qui errent désespérément et cherchent un berger. Nous étions leurs bergers, et nous les avons abandonnés. Tu les as abandonnés !
Le théologien accuse le coup, et quand il répond, sa voix monte légèrement en tête :
- Il faudrait « réenchanter » le monde selon toi? Refaire des lieux sacrés, comme il y a en Polynésie des plages taboues, des lieux où il faut retirer ses sandales et déposer son intelligence parce que « le sol que tu foules est sacré »
Le pape reste calme.
-Et tu élimines le sacré, sans autre forme de procès?
Le théologien ne cache pas son sourire, il a emmené le pape où il voulait :
-Pas moi, Dieu lui-même!
Il laisse un silence pour ménager son effet et poursuit :
- Depuis que Jésus y a mis les pieds, toute notre Terre est sanctifiée. (Il insiste sur le mot.) Sanctifiée, pas sacrée! Rendue sainte pour nous, elle nous est rendue, pas retirée, alors que les choses ou les espaces sacrés, eux, sont retranchés, séparés, retirés à l'usage ordinaire des hommes ordinaires.
Désormais, le Dieu de Jésus-Christ n'attend pas nos sacrifices, nos holocaustes, nos bûchers, pas même notre encens; il attend nos cœurs de chair, ouverts à d'autres cœurs de chair, car c'est dans notre chair que Dieu vient. Dans le Christ, historiquement, et de façon sacramentelle dans la célébration eucharistique.
Le théologien s'est empourpré.
Le pape, lui, semble amusé de voir le vieux professeur sortir de ses gonds comme un jeune homme. Il risque un mot, pour tenter de le calmer.
-Je ne voulais pas te blesser.
Mais il ne peut s'empêcher d'ajouter :
- J’ai quand même dû toucher un point douloureux.
Le théologien pointe un doigt rageur vers le pape.
- Tu as détourné mes propos, je ne te parlais pas de religion mais de sentiment religieux. Ce que je disais, c'est que le sentiment religieux ne porte pas toujours à la foi. Le plus souvent, il porte à l’idolâtrie. Celui qui est rempli de sentiment religieux ressent une sorte d'ivresse, il est comme quelqu'un qui serait amoureux de l'amour au lieu de l'être d'une vraie personne. Il y a dans le sentiment religieux une sorte d'autosatisfaction de soi-même. La foi, c'est autre chose, ça ne laisse jamais en repos, ça ne remplit pas, ça creuse. C’est la tension de deux libertés, la liberté absolue et souveraine de Dieu qui se fait légère, ténue, délicate, et la liberté de l’homme, faible, hésitante, maladroite. Leur rencontre est un grand mystère. Parfois, je crois bien que, dès ici-bas, nous en avons un avant-goût, comme si Dieu se laissait entrevoir un instant avant de s'échapper de nouveau. C'est sans doute ce qui arrive aux plus grands mystiques et qui les laisse pour toujours assoiffés et affamés, ardents d'un désir inextinguible. Et c'est cette rencontre qui nous est promise, quand nous verrons Dieu en face, quand notre liberté se laissera happer par celle de Dieu, quand nous tomberons à genoux comme saint Thomas en disant : « Mon Seigneur et mon Dieu. »
Sa voix s'est éteinte, c'est presque un murmure.
Le pape se tait, étonné par cet élan mystique qu’il ne lui connaissait pas, qu'on ne trouve pas dans ses livres. Mais, déjà, le théologien se redresse et reprend son ton de débatteur :
- Quant à la religion, j’aime assez ce qu'en dit un de mes vieux amis, un grand professeur de physique de Lausanne. Il reprend l'image de saint Paul, à propos des vases d'argile. Il la transpose et la fait jouer de façon habile. Pour lui, la religion est un vase d'albâtre qui transporte la foi, vase nécessaire, car sans le flacon, la foi, comme le parfum, s'évapore. Mais, ajoute-t-il, ce flacon, nous ne devons pas le conserver sur notre cheminée ni même en user parcimonieusement, nous mettant une goutte de foi derrière l'oreille tous les matins ou tous les dimanches, mais, comme Marie de Béthanie le fit, le briser sur les pieds du Christ.
Hans Küng, né en Suisse en 1928, est prêtre catholique. Il avait été nommé par le pape Jean XXIII comme conseiller officiel du Concile, alors qu’il était professeur de Théologie dogmatique et oecuménique et directeur de l’ Institut d’ Etudes Œcuméniques de l’Université Eberhard-Karl de Tübingen. Il s’était vu retirer le droit d’enseigner la théologie au nom de l’Eglise catholique dans cette l’université, en 1979 après avoir contesté des éléments de la foi de l’Eglise.
Il est ensuite devenu directeur d’un département indépendant de la faculté de théologie de l’Institut de recherche oecuménique de Tübingen. Il s’était déclaré « profondément déçu » par l’élection de Joseph Ratzingerau siège de Pierre en avril 2005.
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