Gare aux comptes d'apothicaire
J'ai lu avec bonheur (comme toujours !) le dernier livre d'Adrien Candiard : "A Philemon".
C'est une méditation sur la morale chrétienne à partir de la petite lettre que Paul adresse à son ami Philémon à propos de son esclave Onésime, qui s'est enfui de chez lui pour partir avec Paul.
Quelques extraits, pour donner envie de lire tout le livre!
Ce qui est en jeu ici, ce n’est rien de moins que le salut de Philémon. Car le salut ne concerne pas seulement son devenir post mortem, son destin après cette vie-ci. On envisage d’ailleurs trop souvent ce dernier comme s’il s’agissait d’un passage en classe supérieure, autorisé ou refusé par un conseil de classe plus ou moins accommodant selon des critères un peu invraisemblables, incohérents et arbitraires: on se demande si l’on a tout bien fait, si l’on a assez travaillé, et surtout si le conseil sera clément ; en un mot, si «ça passe ». On se demande alors quel est le niveau d’exigence du Bon Dieu pour nous admettre au paradis ; s’agit-il, comme des cancres de la vie éternelle, de ne faire que le minimum vital?
C’est que la vie éternelle, c’est tout autre chose. Commencée dès notre vie, elle n’est pas autre chose que cette familiarité avec Dieu, cette vie sous la conduite de l’Esprit qui peu à peu nous transforme en filles et fils de Dieu. Le salut n’est pas la récompense de notre amitié avec le Christ: le salut, c’est cette amitié même, qui nous unit à Dieu pour l’éternité. Dès lors, la question n’est plus de savoir si nous avons accompli ceci ou cela, ou si Dieu voudra bien nous pardonner ce petit écart, mais de nous donner entièrement dans cette amitié que Dieu nous offre.
Se lancer dans cette arithmétique, qu’on ait de Dieu l’image d’un juge inflexible et terrible ou d’un papy gentiment laxiste, c’est dans les deux cas n’avoir pas compris la nature même du salut.
Les comptes d’apothicaire n’ont pas grand-chose à voir avec le grand amour. Quand les premiers se demandent ce qu’il faut donner, au plus juste, le second ne demande qu’une chose : tout.
Cette morale qui se fonde dans la vie spirituelle, cette morale qui s’enracine dans l’amitié avec le Christ, n’est pas moins exigeante que celle qui ne demande que notre obéissance à des règles. Elle l’est même bien davantage, parce qu’elle n’attend pas de nous seulement tel geste, le sacrifice de tel plaisir ou de telle demi-heure: elle ne demande pas moins que notre être tout entier. Car nous ne pouvons entrer dans cette amitié sans y entrer avec toute notre personne. Une personne encore imparfaite, sans doute, mais Dieu saura bien nous conduire, pour peu que nous soyons vraiment là, décidés à le suivre. C’est peut-être parce que nous sentons ce que cette morale a d’exigeant, et même d’exorbitant, que nous nous dérobons si souvent, préférant l’autre, celle de l’obéissance aux commandements, finalement tellement plus facile.
Voilà pourquoi la Bible nous présente Dieu si souvent insatisfait de ce peuple qu’il appelle à lui: «Ils me présentent leur dos, se plaint-il, quand je voudrais voir leur face. » Ils préfèrent être des esclaves à qui on ordonne et qu’on châtie, plutôt que des amis que l’on regarde dans les yeux.
Nous croyons chercher la face de Dieu, mais c’est lui qui recherche la nôtre, inlassablement, parce qu’il sait que ce face-à-face pour lequel il nous a créés, c’est le seul horizon qui soit à la mesure de notre cœur en quête d’infini.
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