La vieillesse, une chance ?
Le Père Michel Rondet,jésuite de 79 ans, témoigne de ce qu'il vit à des jésuites du "troisième âge"lors d'une session à l'automne 2001
Il y a un temps pour tout dit Qohélet et tous les temps sont dans la main de Dieu. Alors, comment vivre dans la foi ces années dont le même Qohélet avoue que nous ne les aimons pas (Qo 12, 1) ? Ceci sans céder à la double tentation soit de la fuite en avant, soit de la morne résignation. Dans un cas on tente de nier le poids des années en s'efforçant de continuer comme avant : on s'épuise et on ne trompe personne. Dans l'autre on s'enferme dans le désenchantement sans saisir les chances qui nous sont données de vieillir autrement. Alors, y a-t-il une sagesse spirituelle du dernier âge ?
(…)
La pauvreté évangélique a toujours été une question dans nos vies de Jésuites. Nous y avons répondu comme nous avons pu. Nous avons peut-être souhaité, sans avoir toujours le courage de le demander, des conditions de vie qui nous y auraient conduits de façon plus radicale. Cette fois, elle vient à nous d'une manière que nous n'avons pas choisie. Nos appuis, santé, vigueur intellectuelle, capacité de travail et d'autonomie, nous sont peu à peu enlevés. Nos relations vieillissent avec nous. Nos vies ont été marquées par un souci, légitime mais parfois obsédant, d'efficacité. Là où l'efficacité nous est enlevée, est-ce que nous savons accueillir la fécondité de l'Esprit qui vient transfigurer notre pauvreté ? Avons-nous assez de foi pour croire que nous pouvons encore porter du fruit et nous réjouir de cette fécondité nouvelle ?
A notre âge, il faut convenir que nos vies sont pour une grande part écrites. En prendre acte n'est jamais facile, l'accepter humblement peut être libérateur. Nous n'avons plus à devenir quelqu'un, à nous faire une place. Nous n'avons pas dit notre dernier mot, c'est vrai, mais à moins de circonstances exceptionnelles - tout le monde ne meurt pas martyr - nous ne serons que ce que nous sommes devenus. Evidence douloureuse qui cependant nous ouvre un horizon : nous sommes libres désormais de nous consacrer à l'essentiel : ce visage de sainteté que Dieu continue d'espérer de nous et qui est notre vrai visage. Si pauvre soit-il, il existe. Libérés du souci de grandir, d'être efficaces, nous allons peut-être avoir le temps de le discerner et d'en faire désormais le centre de nos préoccupations et de notre offrande. Relisant notre vie, ses pesanteurs et ses grâces, nous pouvons y découvrir cette forme de charité à laquelle notre histoire nous conduit et que Dieu peut attendre de nous aujourd'hui. Pauvres du visage humain que nous avions rêvé d'être, nous pouvons nous laisser configurer par l'Esprit à ce visage d'éternité que Dieu attend de nous.
Quelques mois avant sa mort, le Père Varillon laissait échapper cette confidence : " Ne croyez pas que le grand âge soit celui de la foi facile ! " Et en effet, ce temps peut être marqué par le doute et voir resurgir des questions que l'on avait occultées dans la fièvre de l'action : et si tout cela n'était qu'illusion, tout ce à quoi j'ai cru, tout ce à quoi j'ai consacré ma vie… Temps de la nuit à affronter dans la foi. Il faut nous y préparer dans la prière et l'enfouissement dans l'Ecriture. Les détachements qui nous sont progressivement demandés peuvent devenir durs à vivre. Des formes de déprime peuvent nous guetter. Il y a alors des choses à faire, des moyens à prendre mais pour le faire, il faut un certain ressort. Pour nous, il ne peut venir que d'une foi vive qui nous relie au Christ dans l'offrande de nos souffrances et la certitude de sa grâce. Priant Dieu de nous libérer de cette "écharde dans la chair", il nous faut avec Saint Paul accepter humblement de recevoir comme réponse " Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse " (2 Co 12,9).
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