Bartimée

Bartimée

La joie l’emplissait jusqu’à la pointe des cornes

Extrait du si beau conte de Noël de Jules Supervielle : " Le bœuf et l’âne de la crèche" .  La nativité vue à travers le regard de l'âne, et surtout du boeuf...

 

  Le bœuf était stupéfait de voir que la Vierge, s'approchant de la crèche, avait le don de faire sourire l’enfant. Joseph, malgré sa barbe, y parvenait sans trop de peine, soit par sa seule présence, soit qu'il jouât du flageolet. Le bœuf eût voulu aussi jouer quelque chose. Somme toute, il n'y avait qu'à souffler.

“ Je ne veux pas dire du mal du patron, mais je ne pense pas qu'il aurait pu, de son souffle, réchauffer l’Enfant Jésus. Et pour ce qui est de la flûte, il suffirait que je me trouve seul avec le petit: dans ce cas il ne m'intimide plus. Il redevient un être qui a besoin de protection. Et un bœuf a tout de même le sentiment de sa force. ”

Quand ils paissaient ensemble dans les champs, il arrivait souvent au bœuf de quitter 1' âne :

- Où vas-tu ainsi?

- Je reviens tout de suite.

- Où vas-tu ainsi, insistait l’âne.

- Je vais voir s’il n’a besoin de rien. On ne sait jamais.

- Mais laisse-le donc tranquille !

 

Le bœuf partait. Il y avait à l’étable une espèce de lucarne - ce qu’on devait nommer plus tard, pour cette raison même, un œil-de-bœuf - par où le bovin regardait du dehors.

Un jour, le bœuf remarqua que Marie et Joseph s’étaient absentés. Il trouva le flageolet sur un banc, à portée de son museau, et ni trop loin ni trop près de l'Enfant.

“ Qu’est-ce que je vais pouvoir lui jouer? se dit le bœuf qui n'osait aller jusqu'à l’oreille de Jésus que grâce à cet intermédiaire musical. Une chanson de labour ? Le chant guerrier du petit taureau courageux ou de la génisse enchantée ? ”

Souvent les bœufs font semblant de ruminer alors qu’au fond de leur âme ils chantent.

Le bœuf souffla délicatement dans la flûte et il n'est pas du tout sûr qu'un ange l’ait aidé à obtenir des sons aussi purs. L'enfant se dressa un peu, de la tête et des épaules, sur sa couche, pour voir. Pourtant le flutiste ne fut pas content du résultat. Il se croyait sûr, du moins, que personne, du dehors, ne l'avait entendu. Il se trompait.

Vite il s’enfuit, de crainte que quelqu’un, et surtout l’âne, n'entrât et ne le surprit trop près de la petite flûte.

 

“ Viens le voir, dit un jour la Vierge au bœuf, pourquoi ne t’approches-tu plus jamais de mon enfant, toi qui l’as si bien réchauffé alors qu'il était encore tout nu ? ”

 

Enhardi, le bœuf se plaça tout près de Jésus qui, pour le mettre tout à fait à l’aise, lui saisit le museau des deux mains. Le bœuf retenait son souffle, inutile maintenant. Jésus souriait. La joie du bœuf était muette. Elle avait pris la forme même de son corps et l’emplissait jusqu’à la pointe des cornes.

L’enfant regardait 1’âne et le bœuf tour à tour, l’âne, un peu trop sûr de lui, et le bœuf qui se sentait d’une opacité extraordinaire auprès de ce visage délicatement éclairé de l’intérieur, comme si à travers de légers rideaux on eût vu passer une lampe d’une pièce à l’autre, dans une très petite et lointaine demeure.

Voyant le bœuf si ténébreux, l’enfant se mit à rire aux éclats. La bête ne voyait pas très clair dans ce rire et se demandait si le petit ne se moquait pas. Fallait-il désormais se montrer plus réservé? Ou même s’éloigner ?

Alors l’enfant rit de nouveau et d’un rire si lumineux, si filial, lui sembla-t-il, que le bœuf comprit qu’i1 avait eu raison de rester.

 

La Vierge et son fils se regardaient souvent de tout près. Et c’était à qui serait plus fier de l’autre.

“ Il me semble que tout devrait être à la joie, pensait le bœuf, jamais on ne vit mère plus pure, enfant plus beau. Mais, par moments, comme ils ont l'air grave  l'un et l’autre ! ”

 

Maitre de Moulins - Nativité - XVeme



24/12/2017
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