La grâce de Dieu, plus forte que nos vertus (2)
Autre extrait du "discours sur la Vertu" de Mgr Dagens à l'académie Française le 5 Décembre.
C’est l’honneur des artistes de nous plonger ainsi au plus profond et au plus obscur de notre humanité, dans nos passions, dans nos pulsions de mort et aussi dans ce désir de délivrance qui nous habite, surtout quand le Mal et le Malin semblent avoir le dernier mot. Ce n’est pas un hasard si, à six ans de distance, le prix Goncourt a été attribué à deux romans terribles qui, chacun à sa manière, mettent en lumière, si l’on peut dire, des processus de destruction et d’anéantissement. En 2006, Les Bienveillantes de Jonathan Littell montraient la jouissance des bourreaux nazis en Ukraine, quand ils exécutaient des Juifs et les jetaient dans des charniers. Et l’an dernier, en 2012, Jérôme Ferrari, dans son Sermon sur la chute de Rome, racontait la décomposition inexorable d’une famille corse, où se déchaînent des jalousies et des haines meurtrières: « À nouveau, le monde était vaincu par les ténèbres et il n’en resterait rien, pas un seul vestige. À nouveau, la voix du sang montait vers Dieu depuis le sol, dans la jubilation des os brisés, car nul homme n’est le gardien de son frère… » (Jérôme Ferrari, Sermon sur la chute de Rome, Paris, 2012, p. 191).
Que fait Dieu face à ces horreurs si réelles? Et le pauvre évêque d’Hippone n’a-t-il plus qu’à attendre l’arrivée des Barbares qui vont déferler en Afrique? Nous sommes alors loin des jeux de la pensée et des divertissements innombrables par lesquels nous cherchons à oublier ou à masquer ces drames qui nous touchent souvent de très près. Et que devient alors la vertu, même dans son sens fort d’énergie intérieure, de volonté tendue dans la lutte pour délivrer et pour sauver tout ce qui peut l’être? Comment concevoir le paradis de Dieu alors que les menaces de l’engloutissement en enfer sont les plus sensibles?
Je n’oublie pas ces questions graves qui sont les nôtres, mais je sais bien qu’à cette tribune, il ne sied pas d’avoir recours à des accents d’apocalypse, auxquels je désire moi-même résister, parce que je crois que rien des pires horreurs, visibles ou cachées, de ce monde, nos cruautés, nos trahisons, nos reniements, nos lâchetés et nos fautes, « rien ne pourra nous séparer de l’Amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ ». (Romains, 8, 39).
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